Céline, Voyage au bout de la nuit – La fête avec Robinson, Madelon et Sophie

On peut dire qu’on en a eu alors de la fête plein les yeux ! Et plein la tête aussi ! Bim et Boum ! Et Boum encore ! Et que je te tourne ! Et que je t’emporte ! Et que je te chahute ! Et nous voilà tous dans la mêlée, avec des lumières, du boucan, et de tout ! Et en avant pour l’adresse et l’audace et la rigolade ! Zim ! Chacun essayait dans son pardessus de paraître à son avantage, d’avoir l’air déluré, un peu distant quand même pour montrer aux gens qu’on s’amusait ailleurs d’habitude, dans des endroits bien plus coûteux, « expensifs » comme on dit en anglais.

D’astucieux, d’allègres rigolos qu’on se donnait l’air, malgré la bise, humiliante aussi elle et cette peur déprimante d’être trop généreux avec les distractions et d’avoir à le regretter le lendemain, peut-être même pendant toute une semaine.

Un grand renvoi de musique monte du manège. Il n’arrive pas à la vomir sa valse de Faust le manège, mais il fait tout ce qu’il peut. Elle lui descend sa valse et elle lui remonte encore autour du plafond rond qui tourbillonne avec ses mille tartes de lumières en ampoules. C’est pas commode. Il souffre de musique dans le tuyau de son ventre l’orgue. Voulez-vous un nougat ? Ou préférez-vous un carton ? À votre choix !…

Parmi nous autres, au tir, c’est Madelon, chapeau relevé sur le front, la plus adroite.« Regarde ! qu’elle fait à Robinson. Je tremble pas moi ! Et pourtant on a bien bu ! » C’est pour vous donner le ton exact de la conversation. Nous sortions donc du restaurant. « Encore un ! » Madelon l’a gagnée la bouteille de champagne ! « Ping et pong ! Et mouche ! » Je lui fais moi alors un grand pari, qu’elle ne rattrapera pas dans l’autodrome. « Chiche ! » qu’elle répond bien en train. « Chacun la sienne ! » Et hop ! J’étais content qu’elle ait accepté. C’était un moyen pour me rapprocher d’elle. Sophie n’était pas jalouse. Elle avait des raisons.

Robinson monte donc derrière avec Madelon dans un baquet et moi dans un autre devant avec Sophie, et on s’en colle une série de fameuses collisions ! Et je te cabosse ! Et je te cramponne ! Mais je vois tout de suite qu’elle n’aime pas ça qu’on la bouscule Madelon. Lui non plus d’ailleurs Léon, il n’aime plus ça. On peut dire qu’il est pas à son aise avec nous. Au passage pendant qu’on se raccroche aux rambardes, des petits marins se mettent à nous peloter de force, hommes et femmes, et nous font des offres. On grelotte. On se défend. On rigole. Il en arrive de partout des peloteurs et encore avec de la musique et de l’élan et de la cadence ! On en prend dans ces espèces de futailles à roulettes de telles secousses qu’à chaque fois qu’on se bigorne les yeux vous en sortent des orbites. La joie quoi ! La violence avec de la rigolade ! Tout l’accordéon des plaisirs ! Je voudrais me remettre bien avec elle Madelon avant qu’on quitte la fête. J’y tiens, mais elle répond plus du tout à mes avances. Non, positivement. Elle me boude même. Elle me tient à distance. J’en demeure perplexe. Ça la reprend ses humeurs. Je m’attendais à mieux. Au physique d’ailleurs aussi elle a changé, et en tout.

Je remarque qu’à côté de Sophie elle perd, elle est terne. L’amabilité lui allait mieux, mais on dirait qu’elle sait à présent des choses supérieures. Ça m’agace. Je la regiflerais volontiers, pour voir si elle reviendrait, ou qu’elle me dise ce qu’elle sait de supérieur, à moi. Mais sourires ! On est dans la fête, c’est pas pour pleurnicher ! Il faut fêter !

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