Musset, Lorenzaccio – Acte IV, scène 11

La chambre de Lorenzo.

Entrent LE DUC et LORENZO.

LE DUC.– Je suis transi, — il fait vraiment froid. (Il ôte son épée.) Eh bien ! mignon, qu’est-ce que tu fais donc ?

LORENZO.– Je roule votre baudrier autour de votre épée, et je la mets sous votre chevet. Il est bon d’avoir toujours une arme sous la main.

Il entortille le baudrier de manière à empêcher l’épée de sortir du fourreau.

LE DUC.– Tu sais que je n’aime pas les bavardes, et il m’est revenu que la Catherine était une belle parleuse. Pour éviter les conversations, je vais me mettre au lit. À propos, pourquoi donc as-tu fait demander des chevaux de poste à l’évêque de Marzi ?

LORENZO.– Pour aller voir mon frère, qui est très malade, à ce qu’il m’écrit.

LE DUC.– Va donc chercher ta tante.

LORENZO.– Dans un instant.

Il sort.

LE DUC, seul.– Faire la cour à une femme qui vous répond oui lorsqu’on lui demande oui ou non, cela m’a toujours paru très sot, et tout à fait digne d’un Français. Aujourd’hui surtout que j’ai soupé comme trois moines, je serais incapable de dire seulement : « Mon cœur, » ou : « Mes chères entrailles, » à l’infante d’Espagne. Je veux faire semblant de dormir : ce sera peut-être cavalier, mais ce sera commode.

Il se couche. — Lorenzo rentre l’épée à la main.

LORENZO.– Dormez-vous, Seigneur ?

Il le frappe.

LE DUC.– C’est toi, Renzo ?

LORENZO.– Seigneur, n’en doutez pas.

Il le frappe de nouveau. — Entre Scoronconcolo.

SCORONCONCOLO.– Est-ce fait ?

LORENZO.– Regarde, il m’a mordu au doigt. Je garderai jusqu’à la mort cette bague sanglante, inestimable diamant.

SCORONCONCOLO.– Ah ! mon Dieu ! c’est le duc de Florence !

LORENZO, s’asseyant sur la fenêtre.– Que la nuit est belle ! que l’air du ciel est pur ! Respire, respire, cœur navré de joie !

SCORONCONCOLO.– Viens, maître, nous en avons trop fait ; sauvons-nous.

LORENZO.– Que le vent du soir est doux et embaumé ! comme les fleurs des prairies s’entr’ouvrent ! Ô nature magnifique ! ô éternel repos !

SCORONCONCOLO.– Le vent va glacer sur votre visage la sueur qui en découle. Venez, seigneur.

LORENZO.– Ah ! Dieu de bonté ! quel moment !

SCORONCONCOLO, à part.– Son âme se dilate singulièrement. Quant à moi, je prendrai les devants.

Il veut sortir.

LORENZO.– Attends, tire ces rideaux. Maintenant, donne-moi la clef de cette chambre.

SCORONCONCOLO.– Pourvu que les voisins n’aient rien entendu !

LORENZO.– Ne te souviens-tu pas qu’ils sont habitués à notre tapage ? viens, partons.

Ils sortent.

 

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