Gaudé, La Mort du roi Tsongor – La mort de Liboko

 

Après la mort du roi, ses fils jumeaux se déchirent. Le premier, Sako, décide de rallier Kouame avec un autre de ses frères, Liboko. Le second jumeau, Danga, rejoint Sango Kerim avec sa sœur Samilia. Dès lors, les deux camps se livrent une guerre sans merci.

La bataille s’engagea et à nouveau, ce furent les cris d’hommes blessés, les hurlements poussés pour se donner du courage, les appels à l’aide, les insultes et le cliquetis des armes. À nouveau la sueur perla sur les fronts. L’huile ruissela sur les corps. Des cadavres cloqués gisaient au pied des murailles.

Les cendrés[1] se ruèrent sur la porte de la Chouette[2] comme des ogres. Ils étaient une cinquantaine mais rien ne semblait pouvoir leur résister. Ils éventrèrent les tenants de la porte cloutée et écrasèrent les gardes surpris de se trouver face à de tels géants. Pour la seconde fois, les nomades pénétrèrent dans Massaba, et pour la seconde fois la panique gagna les rues de la ville. La nouvelle courut de maison en maison. Que les cendrés avançaient. Qu’ils tuaient tout sur leur passage. Lorsqu’elle parvint jusqu’à lui, le jeune Liboko se précipita au-devant des ennemis. Une poignée d’hommes de la garde spéciale de Tsongor le suivit. La rage illuminait son visage. Ils tombèrent sur la troupe des cendrés au moment où ces derniers envahissaient la place de la Lune – une petite place où se réunissaient autrefois les diseurs de bonne aventure et où bruissait, les nuits d’été, le doux murmure des fontaines. Liboko, comme un démon, se rua sur l’ennemi. Il perça des ventres, sectionna des membres. Il transperça des torses et défigura des hommes. Liboko se battait sur son sol, pour défendre sa ville et l’ardeur qui l’animait semblait ne jamais devoir le quitter. Il frappait sans cesse. Éventrant les lignes ennemies de toute sa fureur. Les ennemis tombaient à la renverse sous la force de ses charges. Soudain, il suspendit son bras. Un homme était à ses pieds. Là. À sa merci. Il pouvait lui fendre le crâne mais ne le faisait pas. Il resta ainsi. Le bras suspendu. Un temps infini. Il avait reconnu son ennemi. C’était Sango Kerim. Leurs yeux se croisèrent. Liboko regardait le visage de cet homme qui, pendant si longtemps, avait été son ami. Il ne pouvait se résoudre à frapper. Il sourit doucement. C’est alors qu’Orios s’élança. Il avait vu toute la scène. Il voyait que Sango Kerim pouvait mourir à tout moment. Il n’hésita pas et de tout le poids de sa masse, écrasa le visage de Liboko. Son corps s’affaissa. La vie, déjà, l’avait quitté. Un puissant grognement de satisfaction sortit de la poitrine d’Orios. Sango Kerim, abattu, s’effondra à genoux. Il lâcha ses armes, enleva son casque et prit dans ses bras le corps de celui qui n’avait pas voulu le tuer. Son visage était un cratère de chair. Et c’est en vain que Sango Kerim y cherchait le regard qu’il avait croisé quelques secondes auparavant. Il pleurait sur Liboko tandis que la bataille faisait rage autour de lui. La garde spéciale avait assisté à la scène et une fureur profonde souleva les hommes. Ils poussèrent de toutes leurs forces les cendrés. Ils voulaient récupérer le corps de leur chef. Ne pas l’abandonner à l’ennemi. Ils voulaient l’enterrer avec ses armes auprès de son père.

 

[1] cendrés : troupe d’hommes issus d’un peuple sauvage. Ils sont dévoués à Sango Kerim.
[2] porte de la Chouette : une des portes de la ville.

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