Sanai, «Les aveugles et l’éléphant ou L’éléphant dans la maison obscure»

Au-delà de Ghôr[1] s’étendait une cité dont tous les habitants étaient aveugles. Un roi arriva en ces lieux, accompagné de sa cour et de toute une armée; ils établirent un camp dans le désert.

Or ce monarque possédait un éléphant puissant qu’il lançait dans la bataille pour accroître la terreur de ses ennemis.

La populace brûlait de voir l’éléphant et certains des membres de cette communauté d’aveugles se précipitèrent en désordre à sa découverte.

Comme ils ne connaissaient ni la forme ni même le contour de l’éléphant, ils le tâtèrent à l’aveuglette, recueillant des informations en touchant telle ou telle partie de l’animal.

Chacun croyait savoir quelque chose parce qu’il avait pu en sentir une partie.

Lorsqu’ils revinrent auprès de leurs concitoyens, ils furent aussitôt entourés de groupes avides. Tous étaient anxieux, bien à tort, d’apprendre la vérité de ceux-là mêmes qui étaient dans l’erreur.

Ils posèrent des questions sur la forme et l’apparence de l’éléphant et ils écoutèrent tout ce qu’on leur en dit.

On interrogea sur la nature de l’éléphant l’homme dans la main avait atteint une oreille. Et cet homme d’affirmer: «C’est une grande chose rugueuse, aussi large qu’un tapis.»

Celui qui avait touché la trompe proclama: «Moi je ne sais à quoi m’en tenir. Cela ressemble à un tuyau droit et creux, horrible et destructeur.»

«Il est puissant et ferme comme une colonne», dit à son tour celui qui avait tâté les pattes.

Chacun avait touché une partie du corps de l’éléphant. Chacun l’avait incorrectement perçu. Aucun ne connaissait le tout: la connaissance n’est pas la compagne des aveugles. Tous imaginaient quelque chose. Et l’image qu’ils s’en faisaient était fausse.

La créature ne sait rien de la divinité. Les voies de l’intellect ordinaire ne sont pas la Voie de la science divine.

[1] Ghôr: province montagneuse du centre de l’Afghanistan.