Le registre tragique

Étymologie:

Le mot «tragique» vient du latin tragicus «de tragédie; véhément, pathétique, terrible, horrible»; substantif «poète tragique, acteur tragique», lui-même emprunté au grec tragikos «de bouc; qui concerne la tragédie ou les tragédiens; qui a les allures de la tragédie, grave, majestueux, pathétique»; substantif oi tragikoi «les poètes tragiques»; dérivé de tragos «bouc». (source: Trésor de la Langue française informatisé)

Définition:

Le registre tragique montre la fragilité de l’existence des personnages face au monde qui les entoure, et les soumet à la fatalité de leur destin. Il a pour but d’émouvoir le lecteur ou le spectateur.

Caractéristiques d’écriture:

  • Champs lexicaux de la mort et de la souffrance;
  • Hyperbole;
  • Phrase exclamative;
  • Apostrophe.

Genres privilégiés:

  • La tragédie;
  • La tragi-comédie;
  • Le drame romantique;
  • Le roman romantique;
  • La poésie romantique;
  • La dystopie.

Exemples:

  • Corneille, Le Cid, «Acte I, scène 6»

DON RODRIGUE

Percé jusques au fond du cœur

D’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle,

Misérable vengeur d’une juste querelle,

Et malheureux objet d’une injuste rigueur,

Je demeure immobile, et mon âme abattue

Cède au coup qui me tue.

Si près de voir mon feu récompensé,

Ô Dieu, l’étrange peine!

En cet affront mon père est l’offensé,

Et l’offenseur le père de Chimène!


Que je sens de rudes combats!

Contre mon propre honneur mon amour s’intéresse:

Il faut venger un père, et perdre une maîtresse:

L’un m’anime le cœur, l’autre retient mon bras.

Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme,

Ou de vivre en infâme,

Des deux côtés mon mal est infini.

Ô Dieu, l’étrange peine!

Faut-il laisser un affront impuni?

Faut-il punir le père de Chimène?


Père, maîtresse, honneur, amour,

Noble et dure contrainte, aimable tyrannie,

Tous mes plaisirs sont morts, ou ma gloire ternie.

L’un me rend malheureux, l’autre indigne du jour.

Cher et cruel espoir d’une âme généreuse,

Mais ensemble amoureuse,

Digne ennemi de mon plus grand bonheur,

Fer qui causes ma peine,

M’es-tu donné pour venger mon honneur?

M’es-tu donné pour perdre ma Chimène?


Il vaut mieux courir au trépas.

Je dois à ma maîtresse aussi bien qu’à mon père:

J’attire en me vengeant sa haine et sa colère;

J’attire ses mépris en ne me vengeant pas.

À mon plus doux espoir l’un me rend infidèle,

Et l’autre indigne d’elle.

Mon mal augmente à le vouloir guérir;

Tout redouble ma peine.

Allons, mon âme; et puisqu’il faut mourir,

Mourons du moins sans offenser Chimène.


Mourir sans tirer ma raison!

Rechercher un trépas si mortel à ma gloire!

Endurer que l’Espagne impute à ma mémoire

D’avoir mal soutenu l’honneur de ma maison!

Respecter un amour dont mon âme égarée

Voit la perte assurée!

N’écoutons plus ce penser suborneur,

Qui ne sert qu’à ma peine.

Allons, mon bras, sauvons du moins l’honneur,

Puisqu’après tout il faut perdre Chimène.


Oui, mon esprit s’était déçu.

Je dois tout à mon père avant qu’à ma maîtresse:

Que je meure au combat, ou meure de tristesse,

Je rendrai mon sang pur comme je l’ai reçu.

Je m’accuse déjà de trop de négligence:

Courons à la vengeance;

Et tout honteux d’avoir tant balancé,

Ne soyons plus en peine,

Puisqu’aujourd’hui mon père est l’offensé,

Si l’offenseur est père de Chimène.

    • En quoi cet extrait relève-t-il du registre tragique?
      Dans cette scène, Don Rodrigue se retrouve dans une position qu’il subit, et face à un choix dont les deux issues lui seront défavorables. Son père, Don Diègue, vient de recevoir un soufflet de la part de Don Gomès, le père de sa fiancée Chimène. Don Diègue étant trop vieux pour affronter Don Gomès en duel, il demande à son fils de se battre pour lui. Don Rodrigue se retrouve donc face à un dilemme: ou bien il venge l’honneur de sa famille en tuant Don Gomès, et cause par la même occasion de la peine et de la colère à Chimène; ou bien il ne se venge pas, et il se déshonore en ne remplissant pas son rôle. Ce monologue nous livre le fruit de sa réflexion, qui est bien tragique, puisqu’il n’est plus maître de son destin, celui d’épouser celle qu’il aime.