Molière, Amphitryon – Acte I, scène 1

SOSIE

[…]

Je dois aux yeux d’Alcmène un portrait militaire
Du grand combat qui met nos ennemis à bas;
Mais comment diantre le faire,
Si je ne m’y trouvai pas?
N’importe, parlons-en et d’estoc et de taille,
Comme oculaire témoin:
Combien de gens font-ils des récits de bataille
Dont ils se sont tenus loin?
Pour jouer mon rôle sans peine,
Je le veux un peu repasser.
Voici la chambre où j’entre en courrier que l’on mène,
Et cette lanterne est Alcmène,
À qui je me dois adresser.

Il pose sa lanterne à terre, et lui adresse son compliment.

 «Madame, Amphitryon, mon maître, et votre époux…
(Bon! beau début!) l’esprit toujours plein de vos charmes,
M’a voulu choisir entre tous,
Pour vous donner avis du succès de ses armes,
Et du désir qu’il a de se voir près de vous.»
«Ha! vraiment, mon pauvre Sosie,
À te revoir j’ai de la joie au cœur.»
«Madame, ce m’est trop d’honneur,
Et mon destin doit faire envie.»
(Bien répondu!) «Comment se porte Amphitryon?»
«Madame, en homme de courage,
Dans les occasions où la gloire l’engage.»
(Fort bien! belle conception!)
«Quand viendra-t-il, par son retour charmant,
Rendre mon âme satisfaite?»
«Le plus tôt qu’il pourra, Madame, assurément,
Mais bien plus tard que son cœur ne souhaite.»
(Ah!) «Mais quel est l’état où la guerre l’a mis?
Que dit-il? que fait-il? Contente un peu mon âme.»
«Il dit moins qu’il ne fait, Madame,
Et fait trembler les ennemis.»
(Peste! où prend mon esprit toutes ces gentillesses?)
«Que font les révoltés? dis-moi, quel est leur sort?»
«Ils n’ont pu résister, Madame, à notre effort:
Nous les avons taillés en pièces,
Mis Ptérélas leur chef à mort,
Pris Télèbe d’assaut, et déjà dans le port
Tout retentit de nos prouesses.»
«Ah! quel succès! Ô Dieux! Qui l’eût pu jamais croire?
Raconte-moi, Sosie, un tel événement.»
«Je le veux bien, Madame; et, sans m’enfler de gloire,
Du détail de cette victoire
Je puis parler très savamment.»