Le verbe: valeurs temporelles, aspectuelles, modales

I. Qu’est-ce que la valeur d’un verbe?

Le verbe est le noyau d’une proposition qui indique une action ou un état. Il se décline en plusieurs voix (active ou passive), en plusieurs modes (indicatif, subjonctif, conditionnel, impératif, infinitif, participe, gérondif) et en plusieurs temps (présent, imparfait, futur, passé composé…). La valeur du verbe correspond au contexte dans lequel il est utilisé. On distingue trois catégories de valeur:

  • la valeur modale, qui précise la façon dont l’action ou l’état sont présentés: hypothèse, politesse, ordre, défense, conseil…;
  • la valeur temporelle, qui situe chronologiquement l’action ou l’état exprimés dans le présent, le passé ou le futur, et permet d’envisager l’antériorité, la simultanéité ou la postériorité de ces actions ou de ces états;
  • la valeur aspectuelle, qui permet d’envisager le déroulement de l’action:

– aspect borné (c’est-à-dire vu dans sa globalité) ou non borné (c’est-à-dire vu dans son déroulement),
– aspect accompli (c’est-à-dire que l’action est achevée) ou non accompli (c’est-à-dire que l’action est inachevée),
– aspect répété (l’action se produit plusieurs fois) ou non répété (l’action se produit une seule fois).

II. Les temps verbaux et leurs valeurs

a. Le passé simple de l’indicatif

  • Valeur temporelle
    • Le passé simple de l’indicatif peut permettre d’exprimer une action importante, brève et ponctuelle dans le passé. Il rompt souvent avec l’imparfait de l’indicatif.

«Par un après-midi du mois d’aout, une légère voiture s’arrêta brusquement devant les deux chaumières» (Maupassant, Contes de la Bécasse, «Aux champs»)

«Ridiculement, il plia le genou devant elle, puis il se leva et il alla vers elle et leur premier baiser, alla avec son noir sourire de vieillesse, les mains tendues vers celle qui rachetait toutes les femmes, la première humaine, qui soudain recula, recula avec un cri rauque, cri d’épouvante et de haine, heurta la table de chevet, saisit le verre vide, le lança contre la vieille face. Il porta la main à sa paupière, essuya le sang, considéra le sang sur sa main, et soudain il eut un rire, et il frappa du pied.» (Cohen, Belle du Seigneur)

  • Valeur aspectuelle
    • Le passé simple de l’indicatif indique l’aspect accompli et borné d’une action.

«Pendant un demi-siècle, les bourgeoises de Pont-l’Évêque envièrent à Mme Aubain sa servante Félicité.» (Flaubert, Trois contes, «Un cœur simple»)

«Plus de deux mois s’écoulèrent avant que des Esseintes pût s’immerger dans le silencieux repos de sa maison de Fontenay; des achats de toute sorte l’obligeaient à déambuler encore dans Paris, à battre la ville d’un bout à l’autre.» (Huysmans, À rebours)

b. L’imparfait de l’indicatif

  • Valeurs modales
    • L’imparfait de l’indicatif peut exprimer une hypothèse.

«Elle mit la main sur le loquet. Un pas de plus, elle était dans la rue.» (Hugo, Les Misérables)

    • Il peut exprimer une atténuation des propos.

«Je pouvais de ces lieux lui défendre l’entrée
Mais, Madame, je veux prévenir le danger,
Où son ressentiment le pourrait engager.» (Racine, Britannicus)

  • Valeurs temporelles
    • L’imparfait de l’indicatif peut permettre d’exprimer une description dans le passé.

«Il y a quelques années, en face de cette marchande, se trouvait une boutique dont les boiseries d’un vert bouteille suaient l’humidité par toutes leurs fentes. L’enseigne, faite d’une planche étroite et longue, portait, en lettres noires, le mot: Mercerie, et sur une des vitres de la porte était écrit un nom de femme: Thérèse Raquin, en caractères rouges. À droite et à gauche s’enfonçaient des vitrines profondes, tapissées de papier bleu.» (Zola, Thérèse Raquin)

    • Il peut exprimer une action secondaire (notamment en opposition avec le passé simple de l’indicatif).

«Il était absent depuis quelques heures et le petit Fortunato était tranquillement étendu au soleil, regardant les montagnes bleues, et pensant que, le dimanche prochain, il irait dîner à la ville, chez son oncle le caporalequand il fut soudainement interrompu dans ses méditations par l’explosion d’une arme à feu.» (Mérimée, Colomba et autres contes et nouvelles, «Mateo Falcone»)

  • Valeurs aspectuelles
    • Il peut exprimer une action qui s’inscrit dans la durée.

«Un jeune homme avec lequel j’étais assez lié cherchait depuis quelques mois à plaire à l’une des femmes les moins insipides de la société dans laquelle nous vivions» (Constant, Adolphe)

    • Il peut exprimer une action habituelle, répétitive.

«Nous allions chaque jour, après dîner, à la gare de J…, à deux kilomètres de chez nous, voir passer les trains militaires.» (Radiguet, Le Diable au corps)

c. Le présent de l’indicatif

  • Valeurs modales
    • Le présent de l’indicatif peut exprimer un ordre.

«Je dis que tu dois lui mettre du coton à gauche, elle n’a des «avantages» que d’un côté; demande à Anaïs de te prêter un de ses faux nénés (car la grande Anaïs introduit deux mouchoirs dans les goussets de son corset, et toutes nos moqueries n’ont pu la décider à abandonner ce puéril rembourrage).» (Colette, Claudine à l’école)

    • Il permet d’exprimer une éventualité.

«Je sens le besoin d’aimer, et que le diable m’emporte si je peux aimer une abstraction!» (Sand, Histoire de ma vie)

  • Valeurs temporelles
    • Le présent de l’indicatif permet d’exprimer un fait actuel: il s’agit du présent d’énonciation.

«On parle à la table d’un grand d’une cour du Nord: il prend la parole, et l’ôte à ceux qui allaient dire ce qu’ils en savent; il s’oriente dans cette région lointaine comme s’il en était originaire; il discourt des mœurs de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes; il récite des historiettes qui y sont arrivées; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier jusqu’à éclater.» (La Bruyère, Les Caractères, «De la société et de la conversation»)

    • Il permet d’exprimer une description.

«La façade de la pension donne sur un jardinet, en sorte que la maison tombe à angle droit sur la rue Neuve-Sainte-Geneviève, où vous la voyez coupée dans sa profondeur. Le long de cette façade, entre la maison et le jardinet, règne un cailloutis en cuvette, large d’une toise, devant lequel est une allée sablée, bordée de géraniums, de lauriers-roses et de grenadiers plantés dans de grands vases en faïence bleue et blanche.» (Balzac, Le Père Goriot)

    • Il permet d’exprimer une action inscrite dans un passé proche.

«Il vient de rencontrer un officier anglais nu-tête, le casque accroché à la ceinture.» (Giono, Le Grand Troupeau)

    • Il permet d’exprimer une action inscrite dans un futur proche.

«Vous prendrez part, je pense, à l’heur de mes affaires.
Adieu. Je vais songer aux choses nécessaires.» (Molière, L’École des femmes)

    • Il permet d’exprimer une action ou un constat toujours vrai: c’est le présent de vérité générale.

«La passion fait souvent un fou du plus habile homme, et rend souvent les plus sots habiles.» (La Rochefoucauld, Maximes)

    • Il permet d’exprimer une action dans un récit au passé: c’est le présent de narration.

«Un pauvre Bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n’en pouvant plus d’effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.» (La Fontaine, Fables, «La Mort et le Bûcheron»)

  • Valeur aspectuelle
    • Le présent de l’indicatif permet d’exprimer l’aspect habituel, répétitif d’une action.

«Moi, Josephine Linc. Steelson, négresse depuis presque cent ans, je prends le bus tous les matins et il faudrait une fièvre des marais, une de celles qui vous tordent le ventre et vous font suer jusque dans les plis des fesses, pour m’empêcher de le faire.» (Gaudé, Ouragan)

«Voilà assez longtemps, vois-tu, que les républicains me couvrent de boue et d’infamie; voilà assez longtemps que les oreilles me tintent, et que l’exécration des hommes empoisonne le pain que je mâche» (Musset, Lorenzaccio)

d. Le futur de l’indicatif

  • Valeurs modales
    • Le futur de l’indicatif permet d’exprimer un ordre.

«Tu feras fermer les greniers publics. Je viens de signer le décret.» (Camus, Caligula)

    • Il permet d’exprimer une atténuation des propos.

«J’avouerai que l’architecture gothique est pour moi comme le son de l’harmonica.» (Stendhal, Mémoires d’un touriste)

    • Il permet d’exprimer une hypothèse.

«Je m’abonnerai sans doute pour deux ans : 14 francs.» (Alain-Fournier / Rivière, Correspondance)

  • Valeurs temporelles
    • Le futur de l’indicatif permet d’exprimer une action à venir.

«Des orages nouveaux se formeront, on croit pressentir des calamités qui l’emporteront sur les afflictions dont nous avons été accablés; déjà, pour retourner au champ de bataille, on songe à rebander ses vieilles blessures. Cependant, je ne pense pas que des malheurs prochains éclatent: peuples et rois sont également recrus; des catastrophes imprévues ne fondront pas sur la France: ce qui me suivra ne sera qu’un effet de la transformation générale. On touchera sans doute à des stations pénibles; le monde ne saurait changer de face sans qu’il y ait douleur. Mais, encore un coup, ce ne seront point des révolutions à part; ce sera la grande révolution allant à son terme.» (Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe)

    • Il permet d’exprimer une vérité générale.

«Tant que les hommes pourront mourir et qu’ils aimeront à vivre, le médecin sera raillé et bien payé.» (La Bruyère, Les Caractères)

e. Le présent du conditionnel

  • Valeurs modales
    • Le présent du conditionnel permet d’exprimer une hypothèse.

«Serait-ce l’écurie où tu mets d’aventure
Le manche du balai qui te sert de monture?
» (Hugo, Hernani)

    • Il permet d’exprimer une éventualité, une information incertaine.

«Ne trouverais-je pas, sur toute la grande terre, un à peu près de paradis pour une petite créature comme moi?» (Colette, Claudine s’en va)

    • Il permet d’exprimer une atténuation des propos.

«Alors voilà, tout d’abord, en ce qui vous concerne, j’ai pensé que vous deux vous pourriez à partir de maintenant aider la femme de ménage à ranger votre linge propre dans les tiroirs de vos armoires.» (Pommerat, Cendrillon)

  • Valeur temporelle
    • Le présent du conditionnel permet d’exprimer le futur dans un récit au passé.

«La femme, il l’avait tuée, il la possédait, comme il désirait depuis si longtemps la posséder, tout entière, jusqu’à l’anéantir. Elle n’était plus, elle ne serait jamais plus à personne.» (Zola, La Bête humaine)

f. Les temps composés de l’indicatif

  • Valeur temporelle
    • Les temps composés de l’indicatif peuvent servir à exprimer une antériorité par rapport aux temps simples.

«J’ai couru pour ne pas manquer le départ. Cette hâte, cette course, c’est à cause de tout cela sans doute, ajouté aux cahots, à l’odeur d’essence, à la réverbération de la route et du ciel, que je me suis assoupi. J’ai dormi pendant presque tout le trajet. Et quand je me suis réveillé, j’étais tassé contre un militaire qui m’a souri et qui m’a demandé si je venais de loin. J’ai dit « oui » pour n’avoir plus à parler.» (Camus, L’Étranger)

g. Le présent du subjonctif

  • Valeurs modales
    • Le présent du subjonctif permet d’exprimer un ordre ou un souhait lorsqu’il est employé dans une proposition principale.

«Il faut chasser cet homme, et n’en plus parler. Qu’il aille où il voudra, ce drôle, n’est-ce pas, Alphonse?» (Hugo, Lucrèce Borgia)

«Vienne la nuit, sonne l’heure» (Apollinaire, Alcools, «Le pont Mirabeau»)

    • Lorsqu’il est employé dans une proposition subordonnée, il peut exprimer une volonté, un sentiment, une nécessité, une incertitude…

«Nous enterrons la malédiction, Leïla. Il faut que la vie commence pour toi.» (Gaudé, Les Sacrifiées)

«Oh! je ne pense pas qu’elle dorme; mais c’est une idiote; elle ne parle pas et ne comprend rien à ce qu’on dit.» (Gide, La Symphonie pastorale)

h. Le présent de l’impératif

  • Valeur modale
    • Le présent de l’impératif sert à exprimer l’ordre, la défense, la prière ou le conseil.

«Taisez-vous, allez répondre vos impertinences ailleurs, et sachez que ce n’est pas à vous à juger de mon cœur par le vôtre.» (Marivaux, Le Jeu de l’amour et du hasard)

«Corbleu, mon gendre, ne m’échauffez pas la bile, je me mettrais avec lui contre vous. Allons. Laissez-vous gouverner par moi.» (Molière, George Dandin)