Mouawad, Incendies – Épilogue

Simon ouvre l’enveloppe.  
NAWAL. – Simon, 
Est-ce que tu pleures? 
Si tu pleures, ne sèche pas tes larmes 
Car je ne sèche pas les miennes. 
L’enfance est un couteau planté dans la gorge 
Et tu as su le retirer. 
À présent, il faut réapprendre à avaler sa salive. 
C’est un geste parfois très courageux. 
Avaler sa salive. 
À présent, il faut reconstruire l’histoire. 
L’histoire est en miettes. 
Doucement 
Consoler chaque morceau 
Doucement 
Guérir chaque souvenir 
Doucement 
Bercer chaque image. 
Jeanne, 
Est-ce que tu souris? 
Si tu souris ne retiens pas ton rire 
Car je ne retiens pas le mien. 
C’est le rire de la colère 
Celui des femmes marchant côte à côte 
Je t’aurais appelée Sawda 
Mais ce prénom encore dans son épellation 
Dans chacune de ses lettres 
Est une blessure béante au fond de mon cœur. 
Souris, Jeanne, souris 
Notre famille, 
Les femmes de notre famille, nous sommes engluées 
Dans la colère. 
J’ai été en colère contre ma mère 
Tout comme tu es en colère contre moi 
Et tout comme ma mère fut en colère contre sa mère. 
Il faut casser le fil, 
Jeanne, Simon, 
Où commence votre histoire? 
À votre naissance? 
Alors elle commence dans l’horreur. 
À la naissance de votre père? 
Alors c’est une grande histoire d’amour. 
Mais en remontant plus loin, 
Peut-être que l’on découvrira que cette histoire d’amour 
Prend sa source dans le sang, le viol, 
Et qu’à son tour, 
Le sanguinaire et le violeur 
Tient son origine dans l’amour. 
Alors, 
Lorsqu’on vous demandera votre histoire, 
Dites que votre histoire, son origine, 
Remonte au jour où une jeune fille 
Revient à son village natal pour y graver le nom 
De sa grand-mère Nazira sur sa tombe. 
Là commence l’histoire. 
Jeanne, Simon, 
Pourquoi ne pas vous avoir parlé? 
Il y a des vérités qui ne peuvent être révélées qu’à la condition d’être découvertes. 
Vous avez ouvert l’enveloppe, vous avez brisé 
Le silence 
Gravez mon nom sur la pierre 
Et posez la pierre sur ma tombe. 
Votre mère. 
SIMON. – Jeanne, fais-moi encore entendre son silence. 
Jeanne et Simon écoutent le silence de leur mère. Pluie torrentielle.