Gide, La Symphonie pastorale – La naissance de la jalousie

8 mars.

Un des premiers jours d’août, il y a à peine un peu plus de six mois de cela, n’ayant point trouvé chez elle une pauvre veuve à qui j’allais porter quelque consolation, je revins pour prendre Gertrude à l’église où je l’avais laissée; elle ne m’attendait point si tôt et je fus extrêmement surpris de trouver Jacques auprès d’elle. Ni l’un ni l’autre ne m’avaient entendu entrer, car le peu de bruit que je fis fut couvert par les sons de l’orgue. Il n’est point dans mon naturel d’épier, mais tout ce qui touche à Gertrude me tient à cœur: amortissant donc le bruit de mes pas, je gravis furtivement les quelques marches de l’escalier qui mène à la tribune; excellent poste d’observation. Je dois dire que, tout le temps que je demeurai là, je n’entendis pas une parole que l’un et l’autre n’eussent aussi bien dite devant moi. Mais il était contre elle et, à plusieurs reprises, je le vis qui prenait sa main pour guider ses doigts sur les touches. N’était-il pas étrange déjà qu’elle acceptât de lui des observations et une direction dont elle m’avait dit précédemment qu’elle préférait se passer? J’en étais plus étonné, plus peiné que je n’aurais voulu me l’avouer à moi-même et déjà je me proposais d’intervenir lorsque je vis Jacques tout à coup tirer sa montre.

– Il est temps que je te quitte, à présent, dit-il; mon père va bientôt revenir.

Je le vis alors porter à ses lèvres la main qu’elle lui abandonna; puis il partit. Quelques instants après, ayant redescendu sans bruit l’escalier, j’ouvris la porte de l’église de manière qu’elle pût l’entendre et croire que je ne faisais que d’entrer.

– Eh bien, Gertrude! Es-tu prête à rentrer? L’orgue va bien?

– Oui, très bien, me dit-elle de sa voix la plus naturelle; aujourd’hui j’ai vraiment fait quelques progrès.

Une grande tristesse emplissait mon cœur, mais nous ne fîmes l’un ni l’autre aucune allusion à ce que je viens de raconter.