Molière, Le Tartuffe ou L’Imposteur – Acte I, scène 1

La scène est à Paris.

ACTE I, SCÈNE PREMIÈRE

MADAME PERNELLE et FLIPOTE, sa servante, ELMIRE, MARIANE, DORINE, DAMIS, CLÉANTE.

MADAME PERNELLE

Allons, Flipote, allons ; que d’eux je me délivre.

ELMIRE

Vous marchez d’un tel pas, qu’on a peine à vous suivre.

MADAME PERNELLE

Laissez, ma bru, laissez ; ne venez pas plus loin ;
Ce sont toutes façons, dont je n’ai pas besoin.

ELMIRE

De ce que l’on vous doit, envers vous on s’acquitte.
Mais, ma mère, d’où vient que vous sortez si vite ?

MADAME PERNELLE

C’est que je ne puis voir tout ce ménage-ci,
Et que de me complaire, on ne prend nul souci.
Oui, je sors de chez vous fort mal édifiée ;
Dans toutes mes leçons, j’y suis contrariée ;
On n’y respecte rien ; chacun y parle haut,
Et c’est, tout justement, la cour du roi Pétaut.

DORINE

Si…

MADAME PERNELLE

Vous êtes, mamie, une fille suivante
Un peu trop forte en gueule, et fort impertinente :
Vous vous mêlez sur tout de dire votre avis.

DAMIS

Mais…

MADAME PERNELLE

Vous êtes un sot en trois lettres, mon fils ;
C’est moi qui vous le dis, qui suis votre grand’mère;
Et j’ai prédit cent fois à mon fils, votre père,
Que vous preniez tout l’air d’un méchant garnement,
Et ne lui donneriez jamais que du tourment.

MARIANE

Je crois…

MADAME PERNELLE

Mon Dieu, sa sœur, vous faites la discrète,
Et vous n’y touchez pas, tant vous semblez doucette :
Mais il n’est, comme on dit, pire eau, que l’eau qui dort,
Et vous menez sous chape, un train que je hais fort.

ELMIRE

Mais, ma mère…

MADAME PERNELLE

Ma bru, qu’il ne vous en déplaise,
Votre conduite en tout, est tout à fait mauvaise :
Vous devriez leur mettre un bon exemple aux yeux,
Et leur défunte mère en usait beaucoup mieux.
Vous êtes dépensière, et cet état me blesse,
Que vous alliez vêtue ainsi qu’une princesse.
Quiconque à son mari veut plaire seulement,
Ma bru, n’a pas besoin de tant d’ajustement.

CLÉANTE

Mais, Madame, après tout…

MADAME PERNELLE

 

Pour vous, Monsieur son frère,
Je vous estime fort, vous aime, et vous révère ;
Mais enfin, si j’étais de mon fils, son époux,
Je vous prierais bien fort de n’entrer point chez nous.
Sans cesse vous prêchez des maximes de vivre
Qui par d’honnêtes gens ne se doivent point suivre.
Je vous parle un peu franc, mais c’est là mon humeur,
Et je ne mâche point ce que j’ai sur le cœur.

DAMIS

Votre Monsieur Tartuffe est bien heureux sans doute…

MADAME PERNELLE

C’est un homme de bien, qu’il faut que l’on écoute ;
Et je ne puis souffrir, sans me mettre en courroux,
De le voir querellé par un fou comme vous.

DAMIS

Quoi ! je souffrirai, moi, qu’un cagot de critique,
Vienne usurper céans un pouvoir tyrannique ?
Et que nous ne puissions à rien nous divertir,
Si ce beau monsieur-là n’y daigne consentir ?

DORINE

S’il le faut écouter, et croire à ses maximes,
On ne peut faire rien, qu’on ne fasse des crimes,
Car il contrôle tout, ce critique zélé.

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