Le registre pathétique

Étymologie:

Le mot «pathétique» vient du latin tardif patheticus (lui-même emprunté au grec pathêtikos, dérivé de pathos) qui signifie «propre à émouvoir». (source: Trésor de la Langue française informatisé)

Définition:

Le registre pathétique vise à susciter la pitié du lecteur (ou du spectateur) sur le sort réservé aux personnages.

Caractéristiques d’écriture:

  • Champ lexical de la pitié et de la souffrance;
  • Phrases exclamatives;
  • Hyperbole.

Genres privilégiés:

  • La tragédie;
  • La tragi-comédie;
  • Le roman;
  • Le drame romantique.

Exemples:

  • Balzac, Le Père Goriot

Le père Goriot est un ancien vermicellier retraité qui a donné toute sa fortune pour que ses filles soient heureuses. Il vit désormais dans une petite chambre miséreuse, et ses filles ne viennent jamais le voir.

Il devint progressivement maigre; ses mollets tombèrent; sa figure, bouffie par le contentement d’un bonheur bourgeois, se rida démesurément; son front se plissa, sa mâchoire se dessina. Durant la quatrième année de son établissement rue Neuve-Sainte-Geneviève, il ne se ressemblait plus. Le bon vermicellier de soixante-deux ans qui ne paraissait pas en avoir quarante, le bourgeois gros et gras, frais de bêtise, dont la tenue égrillarde réjouissait les passants, qui avait quelque chose de jeune dans le sourire, semblait être un septuagénaire hébété, vacillant, blafard. Ses yeux bleus si vivaces prirent des teintes ternes et gris de fer, ils avaient pâli, ne larmoyaient plus, et leur bordure rouge semblait pleurer du sang. Aux uns, il faisait horreur; aux autres, il faisait pitié. De jeunes étudiants en médecine, ayant remarqué l’abaissement de sa lèvre inférieure et mesuré le sommet de son angle facial, le déclarèrent atteint de crétinisme, après l’avoir longtemps houspillé sans en rien tirer. Un soir, après le dîner, madame Vauquer lui ayant dit en manière de raillerie: «Eh bien, elles ne viennent donc plus vous voir, vos filles?» en mettant en doute sa paternité, le père Goriot tressaillit comme si son hôtesse l’eût piqué avec un fer.

— Elles viennent quelquefois, répondit-il d’une voix émue.

— Ah! ah! vous les voyez encore quelquefois? s’écrièrent les étudiants. Bravo, père Goriot!

Mais le vieillard n’entendit pas les plaisanteries que sa réponse lui attirait: il était retombé dans un état méditatif que ceux qui l’observaient superficiellement prenaient pour un engourdissement sénile dû à son défaut d’intelligence.

  • En quoi cet extrait relève-t-il du registre pathétique?
    Dans ce passage, l’auteur nous offre une description du père Goriot peu flatteuse, qui met en perspective ce qu’il a été et ce qu’il est devenu, en utilisant notamment l’expression «il ne se ressemblait plus». Le lecteur connait les sacrifices qu’il a faits pour rendre ses filles heureuses. Les railleries des étudiants et de la mère Vauquer, qui sous-entendent que les filles du père Goriot sont en fait des prostituées qu’il paye pour son plaisir, suscitent la pitié car ces remarques sont injustes. Ses réactions vont d’ailleurs dans ce sens. La comparaison «le père Goriot tressaillit comme si son hôtesse l’eût piqué avec un fer» ou la proposition incise «répondit-il d’une voix émue» montrent bien à quel point il est affecté par ces moqueries.
  • Racine, Iphigénie, «Acte IV, scène 4»

Les Grecs, qui partent pour faire la guerre aux Troyens, sont contrariés sur la mer par des vents contraires qui les empêchent d’arriver à destination. Agamemnon, le roi de Mycènes, consulte Calchas, l’oracle, qui lui annonce que pour calmer les Dieux, il doit sacrifier sa fille, Iphigénie. Malgré lui, il l’informe qu’il souhaite qu’elle épouse Achille afin de l’attirer pour la sacrifier. Dans cette scène, Agamemnon se rend compte que son plan est connu de sa femme, Clytemnestre, et de sa fille.

CLYTEMNESTRE
Venez, venez, ma fille, on n’attend plus que vous,
Venez remercier un père qui vous aime,
Et qui veut à l’autel vous conduire lui-même.

AGAMEMNON
Que vois-je? Quel discours? Ma fille, vous pleurez,
Et baissez devant moi vos veux mal assurés.
Quel trouble! Mais tout pleure, et la fille, et la mère.
Ah! malheureux Arcas, tu m’as trahi.

IPHIGENIE
                                                                      Mon père,
Cessez de vous troubler, vous n’êtes point trahi.
Quand vous commanderez, vous serez obéi.
Ma vie est votre bien. Vous voulez le reprendre
Vos ordres sans détour pouvaient se faire entendre.
D’un œil aussi content, d’un cœur aussi soumis,
Que j’acceptais l’époux que vous m’aviez promis,
Je saurai, s’il le faut, victime obéissante,
Tendre au fer de Calchas une tête innocente,
Et respectant le coup par vous-même ordonné,
Vous rendre tout le sang que vous m’avez donné.
Si pourtant ce respect, si cette obéissance,
Paraît digne à vos yeux d’une autre récompense,
Si d’une mère en pleurs vous plaignez les ennuis,
J’ose vous dire ici qu’en l’état où je suis
Peut-être assez d’honneurs environnaient ma vie
Pour ne pas souhaiter qu’elle me fût ravie,
Ni qu’en me l’arrachant un sévère destin
Si près de ma naissance en eût marqué la fin.
Fille d’Agamemnon, c’est moi qui la première,
Seigneur, vous appelai de ce doux nom de père.
C’est moi qui, si longtemps le plaisir de vos yeux,
Vous ai fait de ce nom remercier les Dieux,
Et pour qui tant de fois prodiguant vos caresses,
Vous n’avez point du sang dédaigné les faiblesses.
Hélas! avec plaisir je me faisais conter
Tous les noms des pays que vous allez dompter ;
Et déjà d’Ilion présageant la conquête,
D’un triomphe si beau je préparais la fête.
Je ne m’attendais pas que pour le commencer,
Mon sang fût le premier que vous dussiez verser.
Non que la peur du coup, dont je suis menacée,
Me fasse rappeler votre bonté passée.
Ne craignez rien. Mon cœur, de votre honneur jaloux,
Ne fera point rougir un père tel que vous,
Et si je n’avais eu que ma vie à défendre,
J’aurais su renfermer un souvenir si tendre.
Mais à mon triste sort, vous le savez, Seigneur,
Une mère, un amant attachaient leur bonheur.
Un roi digne de vous a cru voir la journée
Qui devait éclairer notre illustre hyménée.
Déjà, sûr de mon cœur à sa flamme promis,
Il s’estimait heureux, vous me l’aviez permis.
Il sait votre dessein, jugez de ses alarmes.
Ma mère est devant vous, et vous voyez ses larmes.
Pardonnez aux efforts que je viens de tenter
Pour prévenir les pleurs que je leur vais coûter.

AGAMEMNON
Ma fille, il est trop vrai. J’ignore pour quel crime
La colère des Dieux demande une victime,
Mais ils vous ont nommée. Un oracle cruel
Veut qu’ici votre sang coule sur un autel.
Pour défendre vos jours de leurs lois meurtrières,
Mon amour n’avait pas attendu vos prières.
Je ne vous dirai point combien j’ai résisté.
Croyez-en cet amour par vous-même attesté.

  • En quoi cet extrait relève-t-il du registre pathétique?
    Dans cette scène, Iphigénie, qui pensait venir à l’autel pour épouser Achille, découvre que son père se destine à la sacrifier pour satisfaire la colère des Dieux. Loin de se révolter, elle accepte son sort pour satisfaire Agamemnon. Son destin est cruel car là où elle venait chercher le bonheur, elle s’apprête à mourir. Sa dignité face à la mort injuste qui l’attend suscite la pitié du lecteur. Agamemnon peut également, dans une certaine mesure, susciter la pitié, car il est victime de la décision divine. Il est obligé de sacrifier sa fille pour l’intérêt de son pays. Il est face à un dilemme. Sa réaction est touchante, car il regrette de sacrifier sa fille.