Pommerat, Cendrillon – Première partie, scènes 2 et 3

Scène 2 

[…]

La mère (murmurant, quasiment inaudible). Ma chérie il faut que je te dise que je vais bientôt mourir.  

La très jeune fille. Je le sais ça, que t’as tout le temps envie de dormir.  

La mère (inaudible). Chérie je vais m’en aller…  

La très jeune fille. Et que t’es fatiguée?  

La mère (inaudible). Tu sais, je vais m’en aller pour toujours.  

La très jeune fille. Et que tu dors le jour?… Je le sais ce que tu dis. Tu veux pas qu’on aille se promener plutôt que de discuter?

Un temps. La mère semble découragée. Elle détourne son visage et ferme les yeux.  

La voix de la narratrice. C’était pas simple de communiquer avec sa mère et ça la fatiguait. Alors souvent, on demandait à la très jeune fille de la laisser se reposer…

Et puis un jour, on lui dit que c’était sans doute la dernière fois qu’elle la verrait. On lui dit qu’elle devait être bien courageuse et que sa mère voulait lui dire des choses importantes. La très jeune fille promit cette fois-là d’être encore plus attentive que les autres fois.

La mère murmure quelques mots à sa fille. La très jeune fille se penche vers elle.  

La très jeune fille (très émue). Je vais te répéter pour que tu sois sûre que j’ai bien entendu: «Ma petite fille, quand je ne serai plus là il ne faudra jamais que tu cesses de penser à moi. Tant que tu penseras à moi tout le temps sans jamais m’oublier… je resterai en vie quelque part.»

(Le père de la très jeune fille entre. Il entraîne sa fille vers la sortie.)

Maman, je te promets que je penserai à toi à chaque instant. J’ai très bien compris que c’est grâce à ça que tu mourras pas en vrai et que tu resteras en vie dans un endroit invisible tenu par des oiseaux.  J’ai très bien compris que si je laissais passer plus de cinq minutes sans penser à toi ça te ferait mourir en vrai . Ne t’inquiète pas maman, je ne te laisserai pas mourir en vrai, tu peux compter sur moi. Tous les jours, à chaque minute et pendant toute ma vie, tu seras dans mes pensées… N’aie pas peur.  

La voix de la narratrice. On vous l’a dit, ce n’est pas sûr que la très jeune fille ait compris parfaitement  bien les paroles de sa mère. Elle avait beaucoup d’imagination et ce jour-là elle était très émue. Dans la vie, son imagination galopait parfois à toute vitesse dans sa tête et lui jouait des tours. Ce qui est certain, c’est que cette histoire n’aurait pas été la même si la très jeune fille avait entendu parfaitement ce que sa mère lui avait dit.

Mais vous le verrez, pour les histoires, les erreurs ne sont pas toujours inintéressantes… 

 

Scène 3 

La voix de la narratrice. Le lendemain, la mère de la très jeune fille mourut. À partir de ce jour, comme elle croyait que sa mère le lui avait demandé, la très jeune fille se promit de ne plus cesser de penser à elle. Avant, la très jeune fille aimait beaucoup laisser son imagination prendre possession de ses pensées. Mais maintenant tout ça, c’était bien fini. Elle devait concentrer son esprit sur un seul et unique sujet: sa mère… seulement sur sa mère.

Les premiers temps, c’était simple. Mais après quelques mois, un jour, il arriva qu’elle oublie. Il arriva qu’elle oublie pendant quelques instants. Elle eut très peur. Le lendemain, elle demanda à son père de lui acheter une montre. La plus grosse possible. Équipée d’une sonnerie comme un réveil. Pour contrôler le temps.

À partir de ce jour, la très jeune fille devint très angoissée. Sa tête était remplie de pensées de sa mère. Elle en débordait. C’était comme si elle grossissait et même enflait. Parfois elle avait peur que sa tête éclate. Et elle commença à s’en vouloir. Elle disait que penser à sa mère aurait dû être naturel et non pas un effort.